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Nialé Kabe partage avec nous sa conviction que la Côte d’Ivoire a besoin d’investissements internationaux, certes, mais la ministre du Plan et de l’Économie de Côte d’Ivoire insiste également sur la nécessité d’une production à un niveau local. De plus, la parfaite maîtrise des rouages de l’entreprise pour les entrepreneurs devient incontournable. Dans cet épisode de Making a Difference, nous avons évoqué avec Nialé Kaba son parcours, son expérience et ses conseils aux femmes et aux jeunes africains.
Nialé Kaba : Nous avons besoin d’investisseurs mondiaux, qui s’intéressent à nos pays, qui permettent de générer de la ressource localement (…) Mieux, qu’il y ait de la cocréation entre ces investisseurs étrangers et nos investisseurs locaux.
Mina Mammeri : Cette invitation aux investisseurs, c’est Nialé Kaba qui la lance. Et ce qu’on y perçoit surtout, c’est sa volonté de sortir de la dépendance en matière de production, de favoriser la création locale. Pour ça, un secteur entrepreneurial dynamique est crucial, avec des hommes, des femmes, des jeunes, tous actifs. Niale Kaba est ministre de l’Économie et du Plan en Côte d’Ivoire. Bienvenue sur le podcast Making a Difference !
Nialé Kaba : Merci !
Mina Mammeri : Je sais votre parcours très inspirant, et la meilleure façon de mieux vous connaître, ce serait de de remonter le temps. Comment vous avez grandi, qu’est-ce qui a forgé votre personnalité ?
Nialé Kaba : Moi, j’ai passé mon enfance dans un tout petit village ! Pour vous dire comment il était petit, c’est seulement en 2014 qu’il a été électrifié. Donc un tout petit village, avec les traditions africaines, la place de la femme, de la jeune fille… Et j’ai eu la chance… La première école de mon village a été construite quand j’avais à peu près l’âge d’aller à l’école, autour de cinq ans. Mon père nous y a amenées, mes sœurs et moi, donc les plus grandes jusqu’à celles qui avaient l’âge d’aller. « Tout le monde à l’école ! », comme il disait, pour qu’on puisse profiter, faire [comme] mes cousins qui sont allés à la même école, parce que mes oncles, eux, ils avaient des garçons et nous, on était des filles.
J’ai passé une enfance où il nous disait : « Eh bien, allez-y, vous êtes capable de faire comme les hommes ! Prenez votre chance. Et ça, je pense que ça a beaucoup joué dans mon parcours.
Mina Mammeri : Oui, je comprends mieux maintenant. Vous êtes la première femme ministre de l’Économie et du Plan en Côte d’Ivoire. Quels conseils vous pourriez donner aux femmes africaines ?
Nialé Kaba : Déjà, dire qu’occuper des postes aussi stratégiques dans un gouvernement, c’est une grosse confiance des gouvernants, surtout le poste de ministre de l’Économie et des Finances. C’est une confiance dont je suis reconnaissante au président de la République, le président Ouattara, qui a osé passer le pas.
Bien sûr, ça suppose également que nous, les femmes, ont puisse inspirer confiance. Et je voudrais demander à mes sœurs de se faire confiance. Les femmes sont capables. Nous avons, en général, un parcours où l’environnement nous fait croire que nous ne pouvons pas. Ça fait que chaque chance que la femme prend, elle fait trois fois plus d’efforts pour y arriver. Elle contribue à cela parce que la femme elle-même, elle doit comprendre qu’elle a le même potentiel et les mêmes capacités. Lorsqu’on nous donne une chance, il faut pouvoir la saisir.
En général, c’est un comportement, c’est toute une attitude dans la société. Je voudrais encourager les jeunes filles, les femmes, à se dire, un peu comme mon père le faisait : vous avez le même potentiel, il faut y aller, il faut se faire confiance. Il faut être rigoureux également. C’est extrêmement important, la rigueur. Parce que dans la rigueur, vous inspirez la confiance. La société, étant donné la place et le regard que la société nous jette, ce second élément là est quelque chose qui inspire le respect et la confiance. Et je voudrais engager toutes les femmes sur ce conseil.
Vous écoutez Making a Difference, le podcast qui raconte l’histoire d’une Afrique dynamique.
Mina Mammeri : Alors on se rencontre ici, dans le cadre de l’Africa Investment Forum. C’est la première fois qu’il se déroule à Abidjan, c’est ça ? Quelles sont vos impressions ?
Nialé Kaba : C’est la première fois qu’il se déroule à Abidjan et je l’ai dit, c’est un forum extrêmement important. Il est important de par l’intérêt qu’il suscite. C’est en plusieurs dizaines de milliards que les intentions d’investissement s’expriment. Et on constate que lorsque nous quittons donc les salles de transaction, les acteurs continuent de se parler, et une bonne partie de ces investissements se transforme en projets réels qui s’exécutent.
Le président Adesina a parlé de ce projet de gaz liquéfié de 24 milliards qui avait commencé à se mettre en place. Moi-même, je sais que de 2018 à 2019, sur d’autres projets, il y avait plus de 3 milliards qui avaient déjà fait l’objet de contrats signés. C’est des projets en général privés ou PPP. C’est important ! Nous avons besoin d’investisseurs mondiaux qui s’intéressent à nos pays, qui permettent de générer de la ressource localement, plutôt que de nous amener à demeurer ces pays exportateurs de matières premières brutes, agricoles, minerais, etc.
Nous avons besoin qu’il y ait de la création de valeur ajoutée localement. Mieux, qu’il y ait de la cocréation entre ces investisseurs étrangers et nos investisseurs locaux, pour que l’Afrique, en même temps que les investissements se font sur son sol, apprenne également de ceux qui viennent investir. Je pense que les projets que nous proposons sont dans ce sens. Nous avons vraiment grands espoirs que la Côte d’Ivoire puisse lever beaucoup d’argent, mais pas seulement la Côte d’Ivoire, que tous les pays qui ont fait l’effort de travailler sur des projets, d’amener ces projets à maturation jusqu’au Board, puissent susciter de l’intérêt et que ces projets aboutissent.
Mina Mammeri : La question est de circonstance puisque nous sommes en Côte d’Ivoire, quelle est la situation sur le plan des investissements ? Dans quel contexte évoluent les entrepreneurs ici ?
Nialé Kaba : Au sortir de la crise, la Côte d’Ivoire a fait un vrai boom. En réalité, l’économie a été beaucoup tirée par les investissements publics, qui a aussi entraîné un bon dynamisme des investissements privés. Le taux d’investissement est rapidement monté, monté à moins de 10 % globalement. Et là, nous sommes à plus de 20 %, autour de 21 % de taux d’investissement. L’objectif, pour vraiment assurer la transformation structurelle de notre pays, c’est de porter ce taux jusqu’à 30 % à l’horizon 2030.
On le fait par l’accroissement des investissements privés, nationaux et internationaux. Aujourd’hui, je pense que la Côte d’Ivoire a une vraie attractivité auprès des investisseurs. Nous avons réussi à travailler sur le green business, le cadre d’investissement, réduire fortement tout ce qui est tracasserie. Nous avons un code des investissements qui demeure attractif avec, au niveau de certains secteurs clés tels que l’énergie, les mines, nous avons des codes particuliers pour un certain nombre de secteurs spécifiques. Tout cela pour maintenir l’attractivité de notre pays près des IDE, c’est les capitaux extérieurs.
Bien sûr, il y a les investisseurs locaux, les investisseurs locaux pour lesquels le gouvernement espère qu’ils soient de plus en plus nombreux, et qu’ils soient de plus en plus forts et de plus en plus puissants.
C’est en cela que la Côte d’Ivoire a des initiatives. D’abord pour développer les champions nationaux, c’est regarder les PME les plus dynamiques, ou les grands les plus dynamiques, et voir comment l’État, de façon volontariste, à travers des incitations de toutes sortes, y compris l’accès aux marchés publics, permet… ou alors l’accès à des marchés extérieurs, les accompagner pour leur donner une certaine dimension. C’est ce que nous appelons nos champions nationaux.
Donc il y a des projets d’accompagnement donc de PME locales dynamiques, fortes et capables donc de monter à l’échelle. L’État est en dialogue avec ces opérateurs pour voir comment les pousser encore plus loin.
Et puis, il y a un programme pour les PME locales. Tout le monde connaît les problèmes des PME. Elles ont des problèmes de gouvernance, de problèmes de capacité d’accès au financement, des problèmes de capacité d’accès au marché. Donc il s’est mis en place un dispositif pour, d’abord, les sélectionner par appel. Chacun peut contribuer et il y a des comités pour voir celles qui ont du potentiel, et voir comment on peut également les accompagner pour grandir, pour les porter à l’échelle et, pourquoi pas, les aider à basculer dans le lot, donc, de ce que nous avons appelé les champions nationaux.
Donc c’est un peu ça, beaucoup de volontarisme, parce que nous croyons qu’aujourd’hui, aujourd’hui, c’est vraiment le secteur privé qui doit être le moteur de notre économie, et tous les secteurs sont concernés.
Notre priorité, c’est l’agriculture. Vous savez qu’avec tous les produits dont nous disons à chaque fois que nous sommes premiers… Il est temps que ces produits, qui sont pour la plupart destinés à l’exportation, puissent sortir avec un minimum de transformation locale. Laisser une grosse part de la valeur ajoutée en Côte d’Ivoire, c’est l’objectif.
L’État donne des incitations pour ça, que ce soit en fiscalité, que ce soit en infrastructures, pour permettre aux opérateurs d’y arriver. Et nous voulons accompagner donc l’entrepreneuriat local pour s’intéresser à ça, pour prospérer également à ça.
Il n’y a pas que l’agriculture, il y a le vivrier qui devient un enjeu avec ces questions de souveraineté et de sécurité alimentaire. Nous avons une terre généreuse, une terre riche où tout pousse, mais où, attention, nous avons l’ambition de moderniser, de mécaniser pour pouvoir donc accroître les rendements et permettre à nos agriculteurs également de s’enrichir dans ce secteur.
Après, il y a tous les autres secteurs d’intérêt : l’énergie, les transports, les infrastructures, même les ressources humaines, vous savez que l’on peut, que des investisseurs privés peuvent investir dans l’éducation, ils peuvent investir dans la santé. C’est des domaines porteurs. Nous avons une population jeune, nous avons une population qui a besoin d’éducation, qui a besoin de se soigner. Et avec donc le développement d’une classe moyenne qui s’affirme de plus en plus dans le pays, nous avons un pouvoir d’achat et les secteurs sociaux aujourd’hui sont des secteurs d’investissement.
Mina Mammeri : Comment on pourrait guider des jeunes tentés de créer leur entreprise ? Qu’est-ce qu’on pourrait leur dire ?
Nialé Kaba : Ah les jeunes qui seraient tentés de créer une entreprise ! Ce qu’on reproche souvent à nos jeunes, c’est que déjà le projet, il faut le construire et le maturer. Il faut le cerner. C’est toujours la même histoire. Il faut être rigoureux dans son travail. Il faut avoir de la démarche. On reproche à nos entrepreneurs des questions de gouvernance, mais je pense plutôt que c’est des questions d’organisation. Il faut une petite étude de marché, il faut savoir à qui on vend, quelles sont nos meilleures sources d’approvisionnement. Il faut des procédures, même si on est une petite PME.
C’est ça qui vous permet de maîtriser les différents facteurs, parce que quand on est un entrepreneur nouveau, il est évident qu’il y a plein de facteurs qu’on ne maîtrise pas. Mais c’est la démarche qui permet de corriger ce qui ne va pas, de consigner la nouvelle démarche, etc., etc. Donc demander à nos entrepreneurs, leur dire que souvent, lorsque les PME se créent en Côte d’Ivoire, il y a toute une architecture pour les accompagner, même dans la comptabilité, même dans le suivi.
C’est important [que] les nouvelles sociétés puissent aller vers ces structures d’encadrement qui sont prises en charge par l’État. En fait, la structure d’encadrement est prise en charge par l’État pour accompagner les PME. Bien sûr, ça a une contrepartie, puisque l’État paie la structure d’encadrement, vous rentrez dans le secteur formel, vous êtes connu de l’État.
Et justement, pour éviter de se formaliser, ces PME-là restent un peu dans l’informel, dans le tâtonnement. Et bien sûr, ça, c’est une mort assurée, lorsque vous n’arrivez pas à maîtriser le cadre de votre investissement. Donc je voudrais les encourager à se faire accompagner. Il y a, bien sûr, des structures étatiques de conseil, mais au-delà des structures étatiques de conseil, leur dire qu’ils sont des structures privées qui sont prises en charge par l’État pour les accompagner dans la création de leur entreprise, les encourager à y recourir.
Leur dire également que quelquefois, l’État a des dispositifs pour financer les PME les plus performantes. Il faut aller vers l’État sans a priori. Lorsque les gens y vont une, deux, trois fois et qu’ils ne réussissent pas, ils se disent : « Ah, si tu ne connais personne, tu ne peux pas passer ! ». C’est pas toujours vrai. C’est le volume global qui fait que… Donc les encourager justement à être très professionnels, à maturer le projet, à bien gérer, et à partir de ce moment-là, tout est possible. Toutes les belles aventures peuvent s’ouvrir devant eux.
Mina Mammeri : Merci Nialé Kaba. Je crois que les femmes et les jeunes ont pu bénéficier de votre expérience et de vos conseils. Mais je retiens surtout qu’à tous, vous avez conseillé de la ténacité et de la rigueur !
C’était Niale Kaba au micro de Mina Mammeri. Vous écoutez Making a Difference, le podcast de la Banque africaine de développement, le podcast qui raconte l’histoire d’une Afrique dynamique.
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Cet épisode a été enregistré pendant l’Africa Investment Forum en novembre 2022.