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Youness Ouazri : Des méthodes de construction inspirées d'habitats traditionnels

Saviez-vous que les sacs de stockage, que l’on utilise principalement pour les céréales, peuvent aussi servir la construction d’habitats ? Les traditions ancestrales ont été revisitées pour donner forme à ces maisons d’un nouveau genre qui viennent pallier un manque d’infrastructures dans certaines régions profondes du Maroc. Youness Ouazri, ingénieur et chef d’entreprise, invité du podcast Making a Difference, présente son parcours et son entreprise, Eco-Dôme Maroc.

Transcript

Youness Ouazri : Il y a des villages où il y avait un manque d’infrastructures pérennes, adéquates, que ce soit pour l’habitat, pour le préscolaire ou pour, même, la santé (…) On a essayé de créer un concept qui s’adapte à la fois au volet réglementaire du Maroc par rapport au secteur du BTP, et par rapport à la culture locale et l’environnement local.

Quand on voit les exigences des réglementations parasismiques, que ce soit au Maroc et un peu partout dans le monde, il faut que le bâtiment qu’on conçoit et qu’on construit, soit en exploitant les matériaux classiques, le béton, les charpentes, ou bien des matériaux innovants, il faut qu’il respecte les règles de résilience vis-à-vis des secousses sismiques.

Mina Mammeri : Construire en respectant les paysages naturels, bâtir en harmonie avec l’environnement, c’est le pari qu’a fait Youness Ouazri, ingénieur de formation marocain à la tête d’Éco-Dôme Maroc. Comment moderniser des traditions ancestrales ? Comment préserver l’isolation thermique par des moyens naturels ? Youness Ouazri évoque avec nous la création de son entreprise, ses motivations et ses perspectives. Bienvenue dans notre podcast Making a Difference.

Youness Ouazri : Merci beaucoup !

Mina Mammeri : Il paraît que vous auriez quitté le salariat après 20 mois d’exercice pour fonder Eco-Dôme Maroc. Ça s’est vraiment passé comme ça ?

Youness Ouazri : Effectivement, quand j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur en génie civil, il a fallu que je travaille pendant à peu près deux ans pour que j’économise, que je puisse me lancer dans l’entrepreneuriat. Et ça m’a pris presque 20 à 21 mois pour que je dépose ma démission et que je me lance à 100 % dans l’aventure entrepreneuriale qui est Eco-Dôme Maroc.

Mina Mammeri : Comment est née cette idée ? C’est un projet qui a pris forme pendant vos études, ou alors quelque chose qui vous trottait dans la tête depuis plus longtemps encore ?

Youness Ouazri : L’idée m’est venue quand j’étais encore élève ingénieur, à l’École Hassania des travaux publics, à Casablanca, et je faisais partie d’une association qui promeut l’entrepreneuriat social, qui s’appelle Enactus. Et à travers cette association, j’ai eu l’occasion de voyager un peu partout dans le Maroc, notamment dans le Maroc profond. Il y a des villages où il y avait un manque d’infrastructures pérennes, adéquates, que ce soit pour l’habitat, pour le préscolaire ou pour, même, la santé.

Et avec mon équipe, à l’époque, on a fait des recherches par rapport à ce qui se faisait dans les régions du sud du Maroc, par rapport à tout ce qui est construction en terre. Et on a essayé de combiner cela avec notre formation d’ingénierie à l’École Hassania des travaux publics, pour qu’on puisse créer un concept qui s’adapte à la fois au volet réglementaire du Maroc par rapport au secteur du BTP, et par rapport à la culture locale et l’environnement local.

Et c’est à partir de là qu’est née l’idée d’Eco-Dôme Maroc telle qu’elle est connue aujourd’hui. En fait, on est tombés sur les travaux d’un architecte irano-américain, qui s’appelle Nader Khalili, qui a développé une technique de construction qui s’appelle la technique de construction Super Adobe, inspirée des techniques de construction d’abri aux guerres, en fait, par les militaires. C’est une technique qui permet l’utilisation des sacs, similaires aux sacs qu’on utilise dans le stockage du blé et des résidus du blé.

La seule différence, c’est qu’au lieu de les acheter sous forme de morceaux, on les achète sous forme de rouleaux qu’on empile par de la terre locale, par le biais d’une étude préalable qui s’appelle une étude géotechnique, qui nous permet de définir certaines caractéristiques mécaniques adéquates à la stabilité du bâtiment par la suite. Et on peut construire en exploitant des gisements locaux de terre qu’on trouve un peu partout dans le Maroc, voire en Afrique.

Mina Mammeri : Et au niveau des coûts, on se situe comment ? C’est plus ou moins rentable ? Vous pouvez nous donner une idée ?

Youness Ouazri : Le fait d’exploiter des gisements locaux, c’est de la terre qu’on a en dessous de nos pieds, nous permet de travailler sur deux volets, pour baisser les coûts de l’investissement. Il y a le volet logistique : on élimine carrément les coûts dus au transport de la matière première, du point d’approvisionnement vers le chantier de construction. Et le deuxième aspect, c’est vraiment l’élimination d’à peu près 60 à 70 % de la matière première qu’on exporte dans la phase d’exécution. Et ceci a des répercussions très naturelles sur le coût du prix par mètre carré, en le comparant aux différentes techniques de construction traditionnelle telles que le béton et les charpentes.

Mina Mammeri : Alors, en passant d’étudiant à entrepreneur, vous avez changé de casquette. Si vous aviez droit à une seule réponse, je sais, c’est cruel… La création d’entreprise, ce seraient les plus beaux moments ou les plus difficiles à vivre selon vous ?

Youness Ouazri : Alors, je ne vous cache pas qu’il y a eu des hauts et des bas, et les bas étaient beaucoup plus récurrents que les hauts, étaient beaucoup plus difficiles à vivre. Mais en prenant du recul et en regardant la totalité du parcours, je dirais que je ne regrette pas l’aventure. Parce que ces moments de difficultés, c’étaient des moments également d’apprentissage. Et j’ai mûri en tant que personne et en tant que professionnel. Je les perçois comme étant plus des leçons que des échecs, qui m’ont permis d’être ce que je suis aujourd’hui.

Mina Mammeri : Oui, et on grandit forcément avec une expérience pareille ! Vous êtes resté avec le même groupe, ou vous vous êtes consacré tout seul au projet et vous avez foncé ?

Youness Ouazri : À l’époque, j’avais une équipe d’élèves ingénieurs. Et au moment où chacun de nous a eu son diplôme, il y a ceux qui sont partis pour compléter leurs études pour un M1 ou un M2 [master 1 ou master 2], il y a d’autres qui se sont lancés dans le salariat. C’était même mon cas à moi : il a fallu que je travaille, que je sois indépendant de mes parents. Et il y [en a] d’autres qui ont carrément switché de domaine, qui sont partis sur d’autres domaines qui n’ont rien à voir avec la construction.

Par rapport à ce qu’il restait comme membres fondateurs, ou bien comme membres initiateurs d’Eco-Dôme Maroc, au moment où nous étions tous des élèves ingénieurs, je suis resté le seul, au moment de la création juridique. Et du coup, il a fallu que je recrute une nouvelle équipe, et c’est une phase où il y a beaucoup d’histoires et beaucoup de leçons. Ça m’a pris à peu près un an pour que je trouve l’équipe qui a la même passion envers le concept, et qui croit à cette innovation par rapport à l’exploitation des matériaux locaux pour créer des bâtiments qui respectent l’environnement, en fait.

Mina Mammeri : Combien vous êtes aujourd’hui ?

Youness Ouazri : On est une quinzaine de personnes, c’est une équipe d’une quinzaine de personnes. On est une entreprise à taille humaine. Il y a des gens qui s’occupent de la partie études techniques, d’autres personnes qui s’occupent de tout ce qui est suivi des chantiers. Et on a la main d’œuvre qualifiée, qui est formée par rapport aux différentes techniques de construction en terre qu’on utilise et qui se mobilisent un peu partout sur le territoire marocain.

Vous écoutez Making a Difference, le podcast qui raconte l’histoire d’une Afrique dynamique.

Mina Mammeri : Alors maintenant, j’aimerais bien comprendre plus précisément comment ça fonctionne. Vous m’avez bien parlé des sacs de terre, forcément, qui ne reviennent pas cher puisque c’est local et qu’il n’y a pas de transport. Mais par quelles techniques vous gérez les paramètres de l’isolation thermique, de l’isolation phonique, de la pollution interne…

Youness Ouazri : Alors je vais décortiquer la question en commençant tout d’abord par pourquoi on obtient cette isolation thermique et phonique à travers l’utilisation du matériau terre. En fait, le matériau terre, en le comparant à d’autres matériaux, a deux natures, des caractéristiques thermiques. Et ce qu’on fait d’une manière très concrète et simple, c’est qu’on exploite ces caractéristiques thermiques à travers le bon dimensionnement de l’épaisseur des murs extérieurs de nos bâtiments.

Prenons par exemple le cas d’une région côtière, telle que Rabat ou Casa. On est sur un climat relativement modéré. Du coup, d’un point de vue épaisseur, ça peut varier entre 45, voire 50 centimètres, pour une épaisseur totale, pour avoir des gradients thermiques assez intéressants à l’intérieur.

Si on part, par exemple, à côté de Ouarzazate, à côté de Marrakech, on est sur des pics de chaleur relativement importants. Ça atteint les 45, voire 50 degrés de température. Naturellement, ce qu’il faut faire, c’est qu’il faut qu’on augmente l’épaisseur de cette paroi en terre, de telle façon à ce que les caractéristiques thermiques de ce matériau travaillent de telle façon à ce qu’on garantisse ce différé de température entre l’intérieur et l’extérieur.

Et ce qui reste à prendre en considération, c’est vraiment le climat d’un point de vue intempéries. C’est que notre vraie valeur ajoutée à travers Eco-Dôme Maroc, c’est par rapport au développement des formulations des enduits extérieurs en terre. Parce qu’auparavant, les constructions en terre, on les trouvait uniquement dans des climats arides et semi-arides. Et par le biais de ces formulations qu’on a développées en interne, on est arrivés à implémenter ce type, ou bien ce procédé de construction, sous des climats très agressifs, où il y a beaucoup de neige, beaucoup de pluie, beaucoup d’humidité, même à côté de la mer, et ça résiste à l’eau. C’était vraiment notre vraie valeur ajoutée par rapport au concept de l’écodôme, en le comparant à des concepts ancestraux, en exploitant les matériaux locaux.

Mina Mammeri : Je veux bien croire, effectivement, que la résistance à l’eau soit un élément important. A quoi ressemble un client type ? Vous livrez des maisons aux particuliers et on vous paye, ou alors ce sont des projets qui relèvent plutôt de collectivités publiques ?

Youness Ouazri : Pour le moment, d’un point de vue segmentation clients, on vise deux niches de clientèle. Il y a les propriétaires de fermes, qui veulent les aménager de la manière la plus écologique possible. Nous intervenons dans la partie création d’habitat, que ce soit habitat principal ou habitat secondaire, qui s’incruste dans le paysage naturel et qui ne nuit pas aux conditions locales qui [relèvent] de la faune et de la flore locales.

La deuxième niche, c’est les investisseurs dans l’écotourisme. C’est par rapport à tout ce qui est création de gîtes, d’hôtels, de maisons d’hôtes ou bien de fermes d’hôtes, qui valorisent un potentiel naturel ou touristique et qui permettent au flux des touristes d’avoir une expérience, sans pour autant nuire à ce qu’on a comme environnement local.

Par rapport à la rentabilité, on procède par des paiements normaux. Il y a une avance avant d’entamer le chantier. Au fur et à mesure que l’exécution avance, on se paie à la tâche, en fait.

Mina Mammeri : Comme pour l’habitat classique ?

Youness Ouazri : Comme l’habitat classique.

Mina Mammeri : D’accord. Pour l’instant, vous développez ce modèle au Maroc. Est-ce que ce concept s’adapterait et s’exporterait ailleurs, en quelque sorte ?

Youness Ouazri : Pour répondre à cette question, je vais revenir un petit peu dans l’histoire. Parce qu’avant les mouvements de colonisation, les Africains en général construisaient avec ce qu’ils avaient en dessous de leurs pieds. Si on avait de la terre, en construisait avec la terre. Quand on construit en béton ou en dur, c’est comme si on garantit une sorte d’ascension sociale. C’est comme si on est dans le luxe, alors que les matériaux locaux tels que la terre, le bois et la pierre, c’est des matériaux de pauvre.

Dans notre ADN ou bien dans notre inconscient très profond, il y a toujours ce recours vers la construction en exploitant les matériaux locaux. Et à travers Eco-Dôme Maroc, notre vocation principale est de faire revivre ce patrimoine, non seulement marocain mais africain. Et dès qu’on parle de la construction écologique, par exemple en Tunisie, en Algérie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, on ressent qu’il y a une acceptation inconsciente envers l’exploitation de ces matériaux pour construire des maisons, ou bien de l’infrastructure d’une manière très générale.

Mina Mammeri : Et vous avez déposé un brevet pour ce concept ?

Youness Ouazri : Alors, on a un brevet en cours d’établissement par rapport aux enduits extérieurs, tout simplement parce que c’est vraiment la valeur ajoutée qu’on propose. Mais par rapport aux différentes techniques de coffrage ou bien de construction en terre, c’est comme si on se dit on va breveter le coffrage en béton, alors que c’est une technique qui est utilisée par tout le monde.

Mina Mammeri : Bien sûr ! Alors, dans éco-dôme, il y a éco, et il y a dôme. Pourquoi ce choix de la structure du dôme ?

Youness Ouazri : Alors la structure du dôme est due à deux aspects techniques. Le premier, c’est que quand on construit suivant une forme carrée, rectangulaire, les coins droits, en général, d’un point de vue purement thermique, ce sont des coins de déperdition thermique. En termes simples, ce sont des plans où la chaleur et l’énergie s’échappent.

Quand on part sur des conceptions en dôme, en terre, on a tendance à éliminer au maximum les coins droits pour qu’on élimine d’une manière logique les plans de déperdition thermique. Et ceci a des répercussions très, très positives sur le contrôle de la température et de la chaleur à l’intérieur. Ça, d’une part.

D’autre part, quand on voit les exigences des réglementations parasismiques, que ce soit au Maroc et un peu partout dans le monde, il faut que le bâtiment qu’on conçoit et qu’on construit, soit en exploitant les matériaux classiques, le béton, les charpentes, ou bien des matériaux innovants, il faut qu’il respecte les règles de résilience vis-à-vis des secousses sismiques.

Quand on part sur des formes en dôme, il y a deux paramètres qui ressortent. Il y a le centre de masse et le centre de torsion. Ce sont des centres qu’on a tendance, comme étant des ingénieurs de structures, à faire coïncider, en augmentant par exemple les sections des éléments porteurs, les poteaux, les poutres et les dalles.

Mais quand on part sur des formes en dôme, on a d’une manière très naturelle ces deux centres qui coïncident, sans pour autant faire quoi que ce soit. C’est la raison principale pour ce genre de formes. Et ça nous permet de garantir à la fois une bonne performance thermique et une bonne résilience vis-à-vis des secousses sismiques.

Mina Mammeri : Ce qui est un argument de taille, surtout en Afrique du Nord où les séismes sont malheureusement récurrents dans la région... Et vos plans pour l’avenir, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ? Quel âge a l’entreprise d’ailleurs ?

Youness Ouazri : Le projet, je l’ai commencé en 2014 et l’entreprise, je l’ai créée que fin 2016. Donc ça fait pratiquement disons sept ans qu’on opère comme étant une structure juridiquement parlant créée. Et pour les aspirations futures, on estime être d’ici à cinq ans, voire dix ans, l’entreprise leader en matière de construction écologique à l’échelon africain, et pourquoi pas à l’échelon international.

Mina Mammeri : Ajouter de la technologie aux méthodes ancestrales, en privilégiant les ressources locales et en garantissant la résistance des matériaux, c’est le pari d’Eco-dôme Maroc. C’était Youness Ouazri, au micro de Mina Mammeri, qui a évoqué avec nous son parcours d’élève ingénieur à chef d’entreprise.

Vous écoutez Making a Difference, le podcast de la Banque africaine de développement, le podcast qui raconte l’histoire d’une Afrique dynamique.

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